Porter plainte pour antisémitisme pourquoi est-ce si difficile ? (II)

Publié le par Votre juriste en Israel

Une fois que l’on a porté plainte – c’était l’enjeu du précédent article – la procédure est lancée. Reste le plus difficile à faire : rapporter la preuve du caractère antisémite de l’acte ou du propos dont on se plaint. Pour autant, en dépit des déclarations des pouvoirs publics, la chose n’a strictement rien d’évident. En effet, ce n’est pas parce que l’acte ou le propos peut paraître antisémite que l’on obtiendra systématiquement une condamnation. C’est ce que nous allons à présent expliquer à partir des textes répressifs. On distinguera ainsi les propos des actes antisémites.
La difficulté de sanctionner les propos antisémites
Le droit pénal est régi par le principe d’interprétation stricte, ce qui signifie que les juges sont tenus par les termes utilisés par le législateur et ne peuvent en aucun cas procéder, par exemple, à des interprétations par analogie. Or, à aucun moment, le code pénal n’utilise le terme « antisémite » pour qualifier une infraction. Le seul texte qui met l’accent sur la spécificité de la situation des Juifs, c’est celui réprimant le négationnisme. Et encore, plus pour longtemps avec la concurrence des génocides et les discours sur l’esclavage. Dès lors, lorsque les médias ou les représentants communautaires parlent d’antisémitisme, ils plaquent une interprétation sociologique sur un comportement qui n’a pas de véritable équivalent juridique.
Il faut bien comprendre une chose : l’étude de l’antisémitisme procède davantage d’une analyse socio-historique que d’une analyse juridique. Si on se réfère à l’ouvrage central sur le sujet, l’histoire de l’antisémitisme en quatre volumes rédigée par L. POLIAKOV, on constatera à travers les âges une multiplicité de comportements et de manifestations d’hostilité à l’égard des Juifs. Cet auteur lui-même a fait part des difficultés terminologiques pour rendre compte de toutes ses manifestations. Autrement dit, l’antisémitisme serait une notion générique qu’il faudrait affiner pour pouvoir saisir la diversité des comportements répréhensibles.
Seul point commun à toutes ces manifestations : avant que des individus passent à l’acte et commettent des actes répréhensibles, il y a toujours un discours, une manière de voir le monde. Comme l’écrivait le philosophe T. W. ADORNO, l’antisémitisme, c’est une rumeur qui court sur les Juifs. On comprendra ici deux choses :
- il n’y a pas d’agression antisémite sans propos ou discours incitant à la violence contre les Juifs ;
- il n’est pas possible de partir d’une définition aussi large pour envisager une répression d’un comportement. 
Les chercheurs spécialisés hésitent sur la nature des comportements et sur les termes à utiliser pour les qualifier ; on ne peut donc pas demander au juge de trancher une querelle de ce genre. 
Il ne faut donc pas s’étonner, et cela était parfaitement apparu lors du procès intenté contre le journaliste D. MERMET où différents intellectuels avaient été sollicités pour expliquer que les propos tenus à l’antenne de France Inter avaient de fortes connotations antisémites, que les juges peuvent difficilement se fonder sur des raisonnements pour prononcer une condamnation en la matière. A l’identique, pour prendre un exemple plus récent, on peut dès maintenant émettre des doutes sur l’intérêt d’une action en justice intentée par la L.I.C.R.A. contre le dessinateur Siné à la suite de la chronique de celui-ci sur le mariage de J. SARKOZY avec une Juive. Les propos tenus peuvent paraître douteux ; certains auteurs pensent même qu’ils se rattachent à une tradition antisémite de gauche – en l’occurrence le fait d’établir un rapprochement entre la religion et l’argent aboutit indirectement à stigmatiser les Juifs pour leur supposé amour de l’argent. Le débat sur ce point à travers l’exégèse de l’œuvre de K. MARX sur « la question juive » n’est cependant toujours pas clos si on en croit la réédition récente de cet ouvrage avec la préface du philosophe juif D. BENSAID. 
On comprendra ainsi que la condamnation est loin d’être acquise. On ne voit pas comment des juges pourraient indirectement valider une thèse sur une autre. C’est également le même débat que l’on retrouve à propos de certaines sourates du Coran. Bref, seul l’excès peut être condamné ; les démonstrations intellectuelles sur le sujet peuvent en revanche difficilement fonder une condamnation. En outre, dans bien des affaires, les propos litigieux sont tenus par Juifs ou par des personnes bénéficiant de soutiens de Juifs. Et même si cela ne devrait pas rentrer en ligne de compte pour apprécier la culpabilité de la personne poursuivie, dans bien des cas, les juges se fondent sur ce fait pour exonérer de sa responsabilité l’auteur des propos. Autrement dit, il est plus facile de sanctionner l’antisémitisme traditionnel d’extrême droite que sa version relookée d’antisionisme propre à l’extrême gauche.
Cette difficulté de sanctionner les propos antisémites se retrouve à l’identique à propos des actes antisémites. (à suivre)

 

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