Antisémitisme, antisionisme, où se situe la frontière ?

Publié le par Votre juriste en Israel

En 1967, dans un texte resté célèbre, le pasteur Martin Luther King énonçait que antisionisme signifie de manière inhérente antisémite, et il en sera toujours ainsi.

Il faut croire qu’il n’y a plus aucune évidence en la matière. Les élections européennes ont vu fleurir une liste dont le programme est clairement et uniquement l’antisionisme. Pour des raisons procédurales, ces listes n’ont pas pu être interdites. On ne voit d’ailleurs pas à quoi aurait servi l’interdiction si ce n’est permettre à ses instigateurs de se poser en victimes. Reste cependant le problème suivant : comment s’effectue à présent la dissociation entre antisémitisme et antisionisme ? Nous voudrions à partir de la jurisprudence récente exposer les circonvolutions rhétoriques en la matière ; nous montrerons ainsi que le discours antisémite au sens de Martin Luther King a de beaux jours devant lui.

N’est condamnable que le discours antisioniste qui concerne tous les Juifs

Nous partons ici d’une condamnation prononcée par la Cour d’appel de Paris le 2 avril 2009 pour incitation à la haine raciale. Dans cette décision, les juges ont estimé que le prévenu a utilisé les termes "sionisme" et "sionistes" en dénaturant le sens habituel de ces termes pour stigmatiser la communauté juive dans son ensemble. Ses propos contiennent une exhortation à la haine et à la violence et sont de nature à susciter chez le lecteur des réactions d'hostilité et de rejet voire de haine et de violence à l'égard des juifs. Il est donc condamné.

Il y a donc un sens « habituel », pour reprendre les termes des juges et un sens inhabituel. D’où la question : à partir de quand le sens du mot sionisme est détourné ?  En l’occurrence l’excès était le suivant : Dans un des textes qu'il a diffusés sur un site internet, le "sionistepâle" est symbolisé par de la matière fécale devant être éliminée par "la chasse d'eau qu'est le kémite radical". Le prévenu a utilisé le terme "sioniste" dans un sens détourné et vise l'ensemble de la communauté juive. Bref, on peut dénoncer le sioniste tant que l’on n’appelle pas à son extermination. Le juif ne devient sioniste que si on cherche à le tuer mais le sioniste n’est pas assimilable au juif si on se contente de dénoncer ses agissements.

La jurisprudence est d’ailleurs constante sur ce point : le terme "sioniste" accolé au mot "juif" constitue une figure de style propre à renforcer l'imputation faite à l'ensemble de la communauté. Il y a là un dépassement de la liberté d'expression (Cour d’appel de Paris, 11 juin 2008).

N’est pas forcément condamnable l’assimilation des sionistes au nazis

Dans une décision de la Cour d'appel de Paris du 16 mars 2005, les juges ont considéré que "la mise en relation sur une pancarte du drapeau israëlien, du drapeau américain et de la croix gammée ne peut à elle seule caractériser un appel à la haine raciale". C'est en revanche une injure. D'un côté, on est rassuré de se dire que nazi est une injure. De l'autre, le nazisme reste l'archétype de l'ignominie et sa référence vise à provoquer un sentiment de rejet ou de haine et pas uniquement à exprimer du mépris. Le nazi, c'est celui contre lequel il faut résister quitte pour cela à passer à l'acte puisqu'il cherche à imposer un ordre contraire aux droits de l'homme. Réduire le nazisme à une injure revient à le mettre sur le même plan que les termes "flibustiers", "homme vil", "menteuse", pour reprendre des exemples d'injures sanctionnés par la jurisprudence. On ne saurait être davantage relativiste.

Dans ce cadre, par delà les solutions retenues le débat ne porte plus sur la liberté d'expression mais sur la pertinence des poncifs qui concernent les juifs.

N’est pas forcément condamnable la dénonciation du lobby juif

Dans deux affaires anciennes, les personnes poursuivies se voyaient reprocher l'utilisation du terme "lobby juif".

Dans un jugement du 12 juillet 2002, les juges du tribunal correctionnel de Paris ont eu à se prononcer sur la portée de la phrase suivante : "Ils - les Israëliens - ne tiennent que grâce à une politique américaine d'avoir un pied au Moyen-Orient et d'un lobby juif mondial". Les juges ont estimé que " ces termes ne revêtent aucun caractère diffamatoire envers la communauté juive dès lors que ne leur est associé, au cas d'espèce, aucun fait attentatoire à l'honneur ou à la considération de celle-ci, sauf à considérer le "lobbying" comme une pratique, par essence infamante, ce que le tribunal ne saurait considérer, en l'état des règles juridiques et morales actuelles". Dans un arrêt de cassation, les juges y voient "l'expression d'une opinion" et non une diffamation envers la communauté juive. L'invocation du lobby juif est cependant une constante de la rhétorique antisémite pour dénoncer le supposé pouvoir occulte des juifs et leurs réseaux cachés dans le monde. Parler du lobby juif revient en effet à stigmatiser les Juifs, fait abstraction de la diversité de leurs convictions et renvoie historiquement à des souvenirs douloureux. Cette expression péjorative n'existe d'ailleurs pas pour désigner les autres religions.

Les juges ignorent donc cette particularité de l’expression lobby juif et ne sanctionnent que les propos excessifs qui font référence non plus à l’existence mais à l’action du lobby juif. Il faut donc  se rendre à l’évidence : la dénonciation du lobby juif est tout aussi légitime que celle du racisme et de l’antisémitisme.

Ainsi, à trop distinguer le droit français en arrive à cautionner les propos d’un Ahmedinedjad et à laisser s’exprimer en quasi-impunité le parti antisioniste. De là à dire que tout cela révèle un fond antisémite…

Publié dans antisémitisme

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