Porter plainte pour antisémitisme : pourquoi est-ce si difficile ? (III)
Après avoir exposé les techniques pour se constituer partie civile, nous avons présenté un premier obstacle aux poursuites : le principe d’interprétation stricte. Pour le dire simplement, la sanction judiciaire de l’antisémitisme ne peut pas couvrir tous les propos que l’on pourrait percevoir comme antisémite.
S’agissant à présent des actes, il n’en va malheureusement pas différemment. C’est ce que nous voudrions montrer à travers la notion de circonstance aggravante.
Une circonstance aggravante est un fait dont la réalisation concomitante à un comportement répréhensible va entraîner une aggravation de la peine. Ainsi, conformément à l’article 132-76 du Code pénal, les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La circonstance aggravante définie au premier alinéa est constituée lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
On remarquera bien ici la rédaction extrêmement neutre du texte : il n’y a pas, et c’est normal, de traitement préférentiel. La répression peut donc jouer quelle que soit la religion de la victime.
En d’autres termes, une personne qui en frappe une autre n’est pas punie de la même façon si les coups ont été portés sous prétexte que la victime était juive. Mais, et c’est le deuxième alinéa, encore faut-il démontrer que la circonstance aggravante a bien vocation à s’appliquer. Cela entraîne deux conséquences. Première conséquence, puisque la circonstance aggravante aboutit si elle est reconnue à une augmentation de la peine de la personne poursuivie, il est des cas, comme dans l’affaire Ilan Halimi où cette qualification est sans intérêt. Pratiquement, compte tenu des faits et de la qualification retenue, tortures et actes de barbarie, les auteurs encourent la réclusion criminelle à perpétuité, ce qui est la peine maximale en droit français. Dès lors, la loi n’a pas prévu de circonstances aggravantes pour ce type d’acte puisqu’il n’y a pas de possibilité d’augmenter la peine. On peut donc effectivement discuter en droit sur l’intérêt de qualifier cet acte d’antisémite, sauf à dire que nous ne sommes pas en présence d’acte de barbarie et qu’il faut donc envisager une infraction moins sévèrement punie de sorte qu’effectivement il y aurait une utilité à rappeler la religion de la victime.
Deuxième conséquence, il faut rapporter la preuve que cette circonstance puisse jouer. Dans les hypothèses où la loi accentue la répression compte tenu du fait que l’infraction a été commise en raison de la religion de la victime, cela n’est possible que si préalablement il est démontré que l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime. Autrement dit, lorsqu’une personne qui porte une kippa se fait agresser, on ne peut, à partir de ce seul élément déduire que, juridiquement, nous sommes en présence d’un acte antisémite.
D’où les discussions qui ont suivi en juin dernier l’agression du jeune Rudy. Cet adolescent porte une kippa ; on peut donc supposer qu’il est Juif. Il est agressé dans un quartier dont on vante ou on déplore la diversité culturelle. Pour pouvoir parler d’antisémitisme, il faut rapporter la preuve par exemple que l’agression a donné lieu, soit avant, pendant ou après à des insultes antisémites. Ces propos, pour que la circonstance puisse jouer doivent pouvoir être imputés à l’agresseur. En outre, ce sera bien souvent la parole de la victime contre celle de son agresseur. Dans cette affaire, puisque malheureusement, la violence des coups portés à la victime a entraîné un coma à la suite duquel elle s’est réveillée sans se souvenir de quoi que ce soit, il n’y a d’autres solutions que de retrouver toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont pu assister à l’agression. Et même, une fois ces personnes interrogées, compte tenu de la présomption d’innocence, l’aggravation de la peine ne pourra intervenir que si ces propos sont véritablement constitutifs d’une intention antisémite.
Dans ce cadre, hormis les hypothèses quasiment nulles, où une personne informerait sa future victime qu’elle va venir s’occuper d’elle sous prétexte qu’elle serait juive, il paraît difficile de démontrer le caractère antisémite de l’acte en raison de la religion de la victime.
Et l’on mesure ainsi le gouffre qu’il y a entre le discours sur la lutte contre l’antisémitisme affiché par les pouvoirs publics et la réalité judiciaire de ce combat