Religion et fonction publique

Publié le par Votre juriste en Israel

Dans les délibérations de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’égalité, il est clairement mentionné que les règles énoncées ne valent pour les salariés relevant du droit privé. Pour les fonctionnaires, les règles sont donc différentes en raison de deux choses :

- l’existence du statut de la fonction publique qui définit les droits et obligations d’un fonctionnaire, règle auxquelles il doit se conformer et qu’il ne peut négocier ;

- les particularités du fonctionnement d’un service public au titre desquelles il y a le principe de neutralité comme corollaire du principe d’égalité.

Ce principe de neutralité est la conséquence du principe de laïcité, c’est-à-dire l’interdiction pour l’Etat d’accorder un traitement de faveur à une religion plutôt qu’à une autre. Aussi, le droit à la liberté d’expression ainsi que le droit de pratiquer sa religion doivent se concilier avec ce principe. D’où des contentieux propres à la fonction publique ou similaire à ceux des entreprises privées qui peuvent néanmoins trouver des solutions différentes. C’est ce qu’il ressort de la jurisprudence récente en la matière.

Recrutement et fonction publique

La situation est la suivante : une personne se présente à un concours pour devenir officier de la police nationale. Le jury pose des questions au candidat sur sa pratique religieuse ainsi que sur celle de sa femme. Les questions n’ayant strictement rien à voir avec la capacité de l’individu à occuper le poste auquel il se présentait, l’individu recalé a intenté un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision du jury. Très logiquement, la haute juridiction administrative a annulé la délibération du jury rappelant ainsi l’égal accès de tous les candidats à la fonction publique (CE, 10 avr. 2009, n° 311888, El Haddioui).

Ainsi, la pratique du jury a été qualifiée de discriminatoire. La solution est parfaitement fondée pour deux raisons :

- on ne peut présumer que l’origine étrangère d’un candidat ou ses convictions religieuses vont avoir une influence sur la façon dont il compte exercer son travail – le recrutement dans la fonction publique ne peut être déterminée en fonction d’une présomption de double allégeance découlant des origines ethniques ou religieuses de la personne ;

- une fois la personne en poste, elle n’est pas censée agir de façon prosélyte puisque cela irait à l’encontre du statut de la fonction publique. Elle pourrait à ce titre faire l’objet de sanctions.

La question des difficultés du recrutement par rapport aux opinions religieuses s’est principalement posée en matière d’enseignement. Au terme d’un débat centenaire qui avait éclaté après la loi de séparation de l’église et de l’Etat de 1905, le Conseil d’Etat a estimé dans un avis que « les dispositions constitutionnelles qui ont établi la laïcité de l'État …ne mettent pas obstacle par elles-mêmes à ce que des fonctions de ces services soient confiées à des membres du clergé » (CE, avis, ass. gén., 21 sept. 1972 : EDCE, n° 55, p. 422).  C’est d’ailleurs en raison de cette prise de position qu’un rabbin peut être agrégé de philosophie.

Vêtement et fonction publique

C’est peut-être ici qu’intervient la distinction majeure entre droit privé et droit public. En raison du principe de neutralité, il n’est pas possible pour une personne travaillant dans un service public de porter des signes religieux. Schématiquement, l’usager ne doit pas pouvoir identifier la religion du préposé soit pour éviter qu’il lui demande des faveurs, soit, de façon plus cynique, pour éviter qu’il manifeste à son égard de l’animosité sur ce prétexte.

Il s’agit ici de bien cerner la portée de la liberté de manifester sa religion ou ses convictions – conformément à au paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, cette liberté peut admettre des restrictions qui doivent être prévues par la loi et constituer des mesures nécessaires à la protection de l’ordre public au sens large ou à celle des droits et libertés d’autrui.

Le caractère éminemment relatif de cette liberté rend ici toute contestation superflue : il n’est pas possible dans le cadre d’un service public, contrairement à ce qui pourrait se produire dans une entreprise, d’estimer faire l’objet d’une discrimination sous prétexte que l’on ne peut porter un signe religieux car les exigences mêmes du service s’opposent à cette prétention.

Comme l’a jugé la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,  « l'article 9 ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction, et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine d'une manière dictée par une conviction. (...) Dans une société démocratique où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. (CEDH., 29 juin 2004, Leyla Sahin c/ Turquie).

Autrement dit, l’état du droit positif concernant la liberté religieuse dans la fonction publique dessine un équilibre subtil entre les droits de l’individu et les obligations du service public difficilement contestable. 

Publié dans Etre juif en France

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C
Sur le deuxième point soulevé par Leo:<br /> <br /> http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/11/27/la-demande-de-recusation-d-un-magistrat-juif-rejetee_1796723_3224.html
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L
"C’est peut-être ici qu’intervient la distinction majeure entre droit privé et droit public. En raison du principe de neutralité, il n’est pas possible pour une personne travaillant dans un service<br /> public de porter des signes religieux. Schématiquement, l’usager ne doit pas pouvoir identifier la religion du préposé soit pour éviter qu’il lui demande des faveurs, soit, de façon plus cynique,<br /> pour éviter qu’il manifeste à son égard de l’animosité sur ce prétexte."<br /> <br /> C'est le point le plus faible de votre article. En faisant l'apologie de l'évolution du droit français et en la reprenant à votre compte, vous oubliez<br /> <br /> 1) l'évidence vécue par la majorité des Juifs. Le fait d'enlever ou de cacher sa kippa n'a pas fait reculer l'antisémitisme, au contraire.<br /> <br /> 2) Sur le point de la neutralité qui serait mise en danger par la kippa (ou un autre signe ou habit religieux), l'argument présuppose une connivence ethnique ou religieuse qui est précisément un<br /> procès d'intention. La faute redoutée (complicité, faveur, trafic d'influence, que sais-je encore ?) est nullement avérée.<br /> <br /> Si vous vous en remettiez à un règlement ou à des dispositions pratiques relatives à tel ou tel corps de fonctionnaires, il y aurait une discussion à ce niveau (ontologiquement dérivée dans l'ordre<br /> du droit). Mais en prévenant la défense de la religion par l'argument d'une neutralité (et non par exemple, de l'efficience d'un corps) qui est appelée ex abstracto à la limiter, vous avez bel et<br /> bien repris l'argument idéologique par excellence.<br /> <br /> En réalité, les cas où la liberté religieuse doit être limitée sont extrêmement rares. [Et rien ne s'oppose à ce que des fonctionnaires portent des vêtements religieux visibles, à condition que<br /> cela ne fasse obstacle en rien à l'exercice de leurs fonctions. Le sens des restrictions supplémentaires actuelles vient d'ailleurs et les dispositions actuelles du droit français ne sauraient<br /> masquer ce fait.]<br /> <br /> כוח דהיתרא עדיף comme le disent les Rabbins de l'Antiquité (en araméen). Mais bien sûr, là, c'est une toute autre histoire...
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