De la liberte religieuse dans l’entreprise : repas avec collègues et autres obligations liées au contrat de travail (III)

Publié le par Votre juriste en Israel

 Dans notre précédente chronique, nous avons exposé, à partir de la délibération de la Haut Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité sur la liberté religieuse dans l’entreprise comment l’employeur pouvait, en toute légalité, limiter la liberté d’expression des salariés en accusant celui-ci de prosélytisme. Nous voudrions à présent traiter de la difficile conciliation entre le respect du contrat de travail et les obligations religieuses.

Pour cela, nous allons commenter le dernier paragraphe de la délibération du 8 avril 2009 : Le salarié ne peut invoquer des prescriptions religieuses pour refuser d'exécuter tout ou partie de ses missions contractuelles ou pour se soustraire aux obligations légales et réglementaires (telles que les visites médicales obligatoires). Les revendications liées aux pratiques religieuses (autorisations d'absence pour les fêtes, aménagements du temps de travail pour les prières et autres pratiques) ne peuvent s'imposer face aux nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise. Toutefois, une contrainte horaire ou un refus d'autorisation d'absence ne sont légitimes que s'ils sont étrangers à toute considération discriminatoire.

En dépit des apparences résultant d’une rédaction alambiquée, la règle est la suivante : se soumettre ou se démettre. La formulation de la HALDE laisse en effet planer une ambigüité. Tout dépend en effet de la portée que l’on accorde à l’expression « missions contractuelles » et fonctionnement de l’entreprise. On montrera ainsi que la synthèse de la HALDE est principalement destinée à satisfaire les revendications des employeurs.

Missions contractuelles et respect du contrat

Il est hypocrite de renvoyer aux missions contractuelles en se référant au contrat de travail pour en déterminer la portée.

Dans une première perspective, en effet, l’expression « missions contractuelles » renvoie à ce que le salarié a contracté avec son employeur. Or, l’un comme l’autre peuvent s’être mis d’accord sur le respect des contraintes du salarié. Dans ce cas, l’employeur ne peut modifier le contrat de travail sans l’accord du salarié ; il ne peut que modifier les conditions de travail. La délibération de la HALDE fait ainsi écho au principe jurisprudentiel posé par la Cour de cassation (Chambre sociale, 24 mai 1998) "s'il est exact que l'employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n'entrent pas dans le cadre du contrat de travail et l'employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d'exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché dès l'instant que celle-ci n'est pas contraire à une disposition d'ordre public". Autrement dit, la liberté religieuse dans l’entreprise s’apprécie à l’aune du contrat de travail et, indirectement, oblige le salarié à exposer dès le recrutement ses contraintes en la matière. Nous sommes donc en présence d’une atteinte à un droit fondamental résultant d’un simple contrat, ce qui ne laisse pas de surprendre.

Car, peut-on vraiment tout négocier ? Peut-on prévoir toutes les hypothèses dans lesquelles il peut y avoir conflit entre les obligations religieuses et le contrat de travail ? C’est le problème classique des repas d’affaires. On imagine difficilement un salarié demandant dès le recrutement à son employeur l’assurance que tous les déjeuners d’affaires auront lieu dans des restaurants cachere. Il faut donc se rendre à l’évidence, d’un pur point de vue juridique, le salarié n’est dans cette situation pas en mesure de refuser alors même que l’on ne voit pas en quoi le fait de manger avec son employeur puisse présenter un caractère fondamental pour apprécier les compétences du salarié.

Mettre l’accent sur le contrat présuppose que les parties sont en mesure de négocier sur un pied d’égalité, chose qui est tellement loin d’être évidente en matière de relations de travail que le législateur a consacré dans cette branche du droit un véritable droit de mentir au bénéfice du salarié lorsque l’employeur lui pose des questions sur sa vie privée lors de l’entretien d’embauche. Ensuite, la difficulté pour le législateur de faire respecter les règles par l’employeur l’a conduit à multiplier les textes répressifs. Ainsi, alors qu’il existe une réglementation très détaillée des toilettes et des lavabos dans le Code du travail qui témoigne de l’incapacité de se fier à la bonne foi des individus pour assurer la satisfaction des besoins les plus basiques, il faudrait néanmoins croire en la mystique salvatrice du contrat pour assurer le respect des droits fondamentaux des salariés. Enfin, mettre l’accent sur le contrat évite de s’interroger sur la légitimité du pouvoir de l’employeur lorsqu’il décide des périodes de congés de ses salariés : le salarié a des droits dont la réalisation dépend du bon vouloir de l’employeur.

Quid dans ce contexte des cantines d’entreprise ? Bien souvent, l’employeur finance des cantines ; les salariés y ont accès soit en payant une participation, soit gratuitement. Il est bien évident que le salarié ne peut être astreint à payer s’il ne consomme pas. En revanche, en cas de gratuité, se pose la question suivante : est-il en droit de demander compensation sous prétexte qu’il ne peut manger pour des motifs religieux la nourriture servie à la cantine ? Nous sommes ici typiquement dans le cadre d’une discrimination indirecte car, apparemment tout le monde est traité de la même façon mais seules les personnes relevant de la croyance majoritaire peuvent véritablement profiter de la structure. Plus encore, le salarié ne profite pas d’un avantage qui, bien souvent, apparaît au niveau de sa fiche de paie comme un avantage en nature. Malgré cela, la jurisprudence a tendance à estimer que le salarié qui ne mange pas à la cantine de l’entreprise n’est pas en mesure de réclamer une quelconque compensation.

Il est fascinant de constater que ce que nous mangeons conditionne véritablement notre comportement et que c’est précisément sur ce point qu’il ne paraît pas possible de véritablement s’opposer aux prétentions de l’employeur.

Ou alors, autre formulation, l’exercice des droits ne doit pas porter atteinte au fonctionnement de l’entreprise. 

Missions contractuelles et fonctionnement de l’entreprise

On peut donner une autre interprétation à l’expression missions contractuelles au regard cette fois de l’expression également utilisée par la HALDE de fonctionnement de l’entreprise.

Dans cette perspective, l’expression « missions contractuelles » dépend de la fonction du salarié et non de ce qui est mentionné dans le contrat de travail. Dans ce cas, le pouvoir de l’employeur s’en trouve automatiquement accru. Prenons par exemple un salarié qui négocierait de partir tous les vendredis à midi. Si on s’en tient au respect du contrat de travail, l’employeur ne peut lui imposer un changement d’horaires contre sa volonté et son refus ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. La modification des horaires d’un salarié relève certes des conditions de travail et du pouvoir de direction de l’employeur sauf si le contrat de travail contient une mention expresse à ce sujet. Si, en revanche, on pondère le droit du salarié avec les exigences du fonctionnement de l’entreprise alors le refus du salarié n’est pas légitime et peut justifier son licenciement.

Le fonctionnement de l’entreprise peut facilement devenir l’argument passe-partout pour exonérer l’employeur si le salarié estime qu’il a commis une discrimination. En effet, le propre de l’entreprise est de fonctionner indépendamment, par exemple, de toutes contraintes horaires. Qui plus est, notre époque repose sur un management de l’urgence : il faut toujours être en mesure de réagir, ce qui bien évidemment s’oppose à un emploi du temps ponctué par des absences. Il est donc toujours possible de fonder le refus d’absence du salarié sur l’idée que la demande du salarié risque d’entraîner une désorganisation du service dans lequel il travaille.

La seule véritable protection réside, dans cette perspective, davantage dans la conclusion d’un contrat de travail à temps partiel que dans l’existence de droits fondamentaux – avec toutefois une nuance importante. En effet, la réglementation du travail à temps partiel oblige l’employeur à indiquer dans le contrat la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois – ce qui automatiquement renforce les droits des salariés compte tenu de leurs obligations religieuses notamment. Mais la réglementation prévoit également que le contrat doit contenir les cas dans lesquels cette répartition peut être modifiée ainsi que la nature des modifications. Autrement dit, la contractualisation est à double tranchant : soit elle protège, soit elle affaiblit.

Dans un tel cadre, on ne s’étonnera pas de constater que la délibération de la HALDE :

- ne mentionne pas la distinction jurisprudentielle entre modification du contrat de travail et modification des conditions de travail pour apprécier l’impact des décisions de l’employeur sur les droits des salariés ;

- se conclue par un rappel du principe du pouvoir de l’employeur au regard des revendications des individus ;

- est marqué par un confusionnisme sans précédent en droit pour fonder le pouvoir de l’employeur car sont mises sur le même plan des obligations légales (la visite médicale) et celles résultant de l’exercice du pouvoir de l’employeur et surtout la situation de l’homme religieux et celle de l’homosexuel !

Bref, en l’état d’une telle délibération expressément demandée par les chefs d’entreprise, il n’est pas certain que l’on puisse compter sur la HALDE pour lutter contre les discriminations dans l’entreprise.

 

Publié dans Etre juif en France

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