Interdire la naqba : une atteinte aux valeurs démocratiques ?

Publié le par Votre juriste en Israel

A la suite de la proposition du parti d’Israël Beitenou d’interdire la commémoration de la Naqba le jour de Yom Atsmaout, nombre de députés de gauche mais aussi de droite, à commencer par Benny Begin du Likoud, ont estimé qu’un tel texte non seulement porterait atteinte aux valeurs démocratiques du pays mais aussi restreindrait de façon excessive la liberté d’expression au point d’être finalement sans portée réelle.  Ces trois critiques sont totalement infondées.

Ce qui caractérise un régime démocratique, c’est l’égalité de tous. Afin de respecter cette égalité et éviter que la majorité abuse la minorité, les individus composant celle-ci disposent de droits fondamentaux pour contester les textes issus de la majorité cherchant à restreindre leurs droits. C’est schématiquement la conception qu’a défendue le juge Barak lorsqu’il était président de la Cour suprême.

Pour autant, dans tout régime démocratique, ces droits sont encadrés :

- d’une part, ils sont conditionnés par la citoyenneté et indirectement par la nationalité des individus qui s’en réclament ; dès lors, dans la logique de deux peuples, deux Etats, il est parfaitement possible de punir les non-nationaux qui organiseraient sur le territoire israëlien des manifestations d’opposition aux festivités de l’indépendance. Dans le cas contraire, plutôt que de soutenir une conception des droits de l’homme détachée de la nationalité, il est plus rapide de proclamer un Etat bi-national. Autrement dit, l’égalité de tous propre au régime démocratique ne signifie pas l’égalité de tous les individus présents sur le territoire. C’est pourquoi la Déclaration des droits de l’homme de 1789 concerne également le citoyen et que l’article 2 qui prévoit le droit de résistance à l’oppression n’a jamais été consacré en droit positif.

- d’autre part, ces droits doivent s’exercer dans le cadre des lois qui les réglementent. On reprendra ici la formule de l’article 10. 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à propos précisément de la liberté d’expression : L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Très logiquement, sont pénalement sanctionnées les manifestations insurrectionnelles – Article 412-7 du Code pénal français : Constitue un mouvement insurrectionnel toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l'intégrité du territoire national.

Dans ce cadre, le problème n’est pas la restriction à la liberté d’expression et au droit de manifester ses opinions, comme le prétendent les opposants au texte ; c’est plutôt la répression des Palestiniens qui viendraient causer un trouble à l’ordre public et la répression des manifestations dont l’objet n’est rien d’autre que l’incitation à la violence et la contestation de l’intégrité du territoire de l’Etat d’Israël.

En tant que texte relevant du droit pénal, si le texte est voté, il sera soumis à une interprétation stricte : cela a deux implications :

- il devra être clair et précis ;

- il fera nécessairement l’objet d’une interprétation stricte de façon à protéger les individus. Ce n’est donc pas parce qu’une personne s’oppose à l’Etat d’Israël qu’elle est condamnable ; ce n’est donc pas parce qu’une personne manifeste pour l’indépendance d’une partie du territoire qu’elle est condamnable. Elle est condamnable parce que son mode de manifestation et le message qu’elle diffuse dépasse les limites de ce qui est acceptable dans un Etat démocratique et porte à atteinte à l’ordre public.

Soutenir, comme le fait B. Begin que :

- la loi ne doit pas être utilisée pour ce genre de déclarations, c’est se méprendre sur la compétence du législateur et sur l’importance du droit pénal comme signal des valeurs d’une société – à suivre ce genre de raisonnements, on ne voit pas pourquoi les sociétés démocratiques condamnent fermement le racisme ;

- le législateur doit se soucier des moyens d’assurer le respect de la loi, c’est indirectement signifier sa faiblesse et l’incapacité de l’Etat à agir dans certaines zones – la Cour suprême israëlienne a heureusement dit exactement le contraire lorsqu’elle a autorisé la manifestation à Um-el-Farm ;

- que le respect de la liberté d’expression s’apprécie à l’aune des choses graves que l’on peut voir ou entendre, c’est confondre celle-ci avec le relativisme culturel, ce qui est le plus sûr moyen de mettre fin aux caractères juif et démocratique de l’Etat d’Israël.

 

Publié dans polémiques

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I
Merci pour cet article édifiant et assez complet, qui donne à réfléchir.<br /> Edith
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