Peut-on interdire la Kippa dans l'entreprise (II) ?
Nous avons précedemment exposé les règles concernant le vêtement dans l’entreprise. Hors contexte religieux, nous avons pu montrer à partir de la jurisprudence qu’il n’y a pas en droit français une liberté de s’habiller comme on le souhaite. Pour autant, l’employeur ne peut imposer des vêtements que si cela découle de contraintes d’hygiène et de sécurité.
La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité est, quant à elle, revenue sur cette délicate question en l’abordant sous un angle différent : le vêtement comme manifestation de la liberté d’expression et, plus précisément comme exercice du droit de pratiquer sa religion. La réponse est très circonstanciée et s’articule en deux points : faute de loi, l’employeur ne peut procéder à une interdiction générale et absolue des signes religieux ; si l’employeur veut s’y opposer, il ne peut se contenter d’invoquer uniquement le contact avec la clientèle.
L’enjeu est le suivant : l’employeur n’est pas censé prendre de mesures discriminatoires, c’est-à-dire, entre deux situations identiques, il ne peut créer une distinction sur un critère illégitime comme la religion. Pour le dire autrement, une personne doit être appréciée sur ses compétences et non sur son apparence ou ses convictions. Dans le cas contraire, la mesure litigieuse peut être annulée.
Au titre des discriminations, on rappellera la distinction suivante :
- la discrimination peut être directe, ce qui signifie que l’employeur exprime le motif illégitime sur le fondement duquel il prend une mesure d’exclusion – ce serait le cas de la personne qui signifierait à un salarié que l’embauche lui est refusée parce qu’elle est juive ;
- la discrimination peut être indirecte, ce qui signifie qu’apparemment, tout le monde est traité de la même manière mais qu’une analyse approfondie de la mise en œuvre de la mesure permet de détecter qu’une catégorie de personnes subit un traitement différencié en raison d’un motif illégitime – c’est le cas lorsqu’un avantage n’est accordé qu’aux salariés travaillant à temps plein alors que dans l’entreprise, tout le personnel féminin travaille à temps partiel.
Dans ce cadre, interdire le port de signes religieux de façon expresse en incluant une telle disposition dans le règlement intérieur est constitutif d’une discrimination directe.
La HALDE précise que, faute de disposition législative, l’entreprise n’est pas un lieu laïc, ce qui est normal compte tenu du fait qu’elle est le fruit de l’activité de personnes privées. L’employeur ne peut que sanctionner le comportement d’un salarié qui ferait du prosélytisme car il crée ainsi un trouble dans l’entreprise.
Bref, faute de loi, le pouvoir de l’employeur ne saurait aboutir à une atteinte à un droit fondamental. Si on voulait ironiser, il est peut-être plus facile pour un homme d’aller travailler en gandoura qu’en bermuda. A contrario, la HALDE nous prévient que si un jour le législateur décide d’intervenir sur le sujet, il donnera ainsi une autorisation à l’employeur de limiter l’exercice des droits fondamentaux dans l’entreprise. Rien n’est donc acquis en ce domaine.
Dès lors, l’employeur ne peut agir qu’avec mesure.
L’employeur dispose d’un pouvoir de direction et de sanction. A ce titre, il peut estimer que l’expression d’un signe religieux pose problème et sanctionner le salarié qui refuserait de l’enlever. Ainsi, le droit de pratiquer sa religion comme la liberté d’expression sont certes des droits fondamentaux, mais cela n’exclut pas des limites.
Là où la délibération de la HALDE mérite la plus grande attention, c’est lorsqu’elle énonce que l’employeur ne peut interdire les signes religieux à partir du moment où le salarié serait en contact avec la clientèle. En d’autres termes, l’employeur ne peut valider les préjugés qui aboutiraient à sanctionner celui qui appartient à une minorité. Ce n’est en effet pas parce que la majorité, représentée ici par la référence à la clientèle n’est pas habituée à voir des gens vêtus de signes religieux pour les servir qu’il faut en conclure que le signe religieux est interdit. Ce serait d’une certaine manière valider une discrimination indirecte, ce qui est tout autant prohibé qu’une discrimination directe – la HALDE ne le dit cependant pas de cette façon.
Dès lors, l’employeur doit rapporter la preuve que le signe crée un trouble dans l’entreprise. Cas extrême, si on raisonne par rapport à la clientèle, il doit rapporter la preuve que le signe religieux est à l’origine d’une diminution de son chiffre d’affaires. Et encore, il paraît difficile de prouver une telle causalité.
Ce qui est sanctionnable, ce n’est donc pas le signe religieux en tant que tel mais le comportement de la personne une fois qu’elle décide de se vêtir d’une certaine façon. Bref, ce n’est pas parce que l’on a le droit de porter une kippa dans l’entreprise que l’on doit faire n’importe quoi.
merci pour la photo à Orly Ayhalom http://public.fotki.com/orlyyahalom/israel/