Peut-on interdire la Kippa dans l'entreprise (I) ?
Comment s’habiller dans l’entreprise ? Partant du principe qu’un salarié est subordonné, il est censé exécuter des prestations pour le compte et sous les ordres de son employeur. Pour autant, tous les ordres de l’employeur ne sont pas légitimes. Ce n’est pas en effet parce qu’une personne est subordonnée qu’elle doit se soumettre intégralement au bon vouloir de son supérieur. C’est pourquoi, à la question quotidienne que se pose chaque salarié, comment s’habiller pour aller travailler, la jurisprudence et la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité ont défini tout un ensemble de règles. Nous voudrions donc profiter de l’avis rendu par la HALDE le 26 janvier 2009 sur une clause du règlement intérieur d'une entreprise visant à réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux pour esquisser une synthèse sur le sujet et définir les droits d’une personne qui souhaiterait venir travailler avec une kippa sur la tête.
Après une présentation des règles concernant l’habillement dans l’entreprise, on évoquera la question plus particulière des signes religieux.
On rappellera l’histoire drôlatique à l’origine de ce principe pour en exposer les implications.
Un cas marquant est à l’origine de la jurisprudence sur le sujet : un salarié d’une entreprise informatique venait en bermuda dans son entreprise. Il estimait que cette tenue pour un homme n’était pas différente d’une jupe-culotte pour une femme. Comme il portait une blouse durant ses heures de travail, la situation confinait au ridicule puisque ce salarié donnait l’impression de venir travailler nu dans son entreprise – ses collègues avaient l’impression d’être confronté à un exhibitionniste. Son employeur lui a intimé à plusieurs reprises de revêtir un pantalon et, devant son refus persistant, l’a licencié. Persuadé que ce licenciement n’était pas justifié car il ne portait en aucune manière sur sa compétence mais uniquement sur une question d’apparence, le salarié en question a porté le litige jusque devant la Cour de cassation.
La Haute juridiction est intervenue à deux reprises sur cette affaire : une première fois en référé, c’est-à-dire à l’occasion d’une procédure d’urgence car le salarié soutenait que le licenciement constituait une atteinte à ses droits fondamentaux ; une deuxième fois, sur le fond, c’est-à-dire précisément sur la question de droit : l’employeur peut-il imposer une tenue vestimentaire.
En référé, les juges ont estimé dans un arrêt du 28 mai 2003 que si un employeur ne peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la nature des taches à accomplir et proportionnées au but recherché, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales. Autrement dit, l’employeur ne peut imposer tout et n’importe quoi à son salarié ; il doit impérativement être en mesure d’expliquer et donc de rendre acceptable ce qu’il impose. Pour cela, le juge apprécie la mesure au regard de sa finalité et du contexte dans lequel elle s’inscrit. Par exemple, il est légitime pour un employeur d’imposer des vêtements de sécurité ou encore des tenues qui permettent par exemple au client d’un hôtel de bien identifier le réceptionniste du cuisinier.
Pour autant, le fait que l’employeur doive se justifier ne signifie pas pour autant qu’il existe une liberté fondamentale sur ce point et ce, pour une raison simple : aucun texte ne consacre une telle liberté. Dès lors, aussi scandaleux que cela puisse paraître, tout dépend des goûts et couleurs de l’employeur. Et l’on comprendra aisément dans ce contexte que toute la stratégie contentieuse en matière de vêtements va viser à essayer de rattacher sa manière de s’habiller à une liberté fondamentale expressément consacrée. Ainsi, plusieurs options s’offrent au plaideur : invoquer la liberté d’expression ou la liberté de pratiquer sa religion en public.
Sur le fond, la solution a été confirmée de façon expresse, les juges ayant écarté l’idée que s’habiller représente une façon de s’exprimer. Pour reprendre les termes de l’arrêt, sur la base du principe que l’employeur a le droit d’imposer des contraintes vestimentaires, le salarié a perdu son combat judiciaire sur le prétexte suivant : la tenue vestimentaire du salarié était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail qui pouvaient le mettre en contact avec la clientèle et que l’intéressé, en faisant évoluer un incident mineur en contestation de principe et en lui donnant une publicité de nature à décrédibiliser la hiérarchie et porter atteinte à l’image de la société, a dépassé le droit d’expression reconnu aux salariés dans l’entreprise (Cass. Soc. 12 novembre 2008).
Bref, non seulement le salarié n’a pas le droit de s’habiller comme il veut mais si, en plus, il invoque sa liberté d’expression, il peut être licencié pour insubordination car son comportement porte atteinte à l’image de la société. S’il y a bien un concept flou en droit susceptible de tous les abus, c’est bien celui d’image de l’entreprise.
Peut-être cependant pour bien comprendre la portée de cet arrêt faut-il le pondérer avec le principe dégagé par un arrêt du 21 mai 2008 en vertu duquel, à partir du moment où le port du vêtement de travail est obligatoire et qu’il est inhérent à l’emploi, l’employeur doit assurer la charge de leur entretien.
Autrement dit, il n’y a pas de droit de s’habiller comme on l’entend ; il y a en revanche une obligation pour l’employeur de participer aux frais de nettoyage du salarié.
(à suivre)
merci pour la photo à Orly Ayhalom http://public.fotki.com/orlyyahalom/israel/