Travailler le dimanche : et pourquoi pas le samedi aussi ?
Lors des débats concernant la modification de la loi prohibant le travail le dimanche, le secrétaire général de l’U.M.P. a déclaré : "les chrétiens honorent le dimanche, les juifs le samedi, les musulmans le vendredi, si les bouddhistes s'y mettent, il ne va pas rester grand chose". Il a ainsi clairement énoncé les intentions sous-jacentes à une telle réforme : imposer un mode de vie unique indifférent aux pratiques religieuses, tout cela bien sûr au nom de la laïcité. Les Juifs de France habitués à faire leurs courses le dimanche dans des magasins qui contreviennent manifestement à la réglementation ont malheureusement tendance à croire qu’ils ne sont pas concernés par ce type de débats. On voudrait ici expliquer le caractère central de cette interdiction en droit français pour ensuite exposer les règles concernant le travail le samedi. On montrera ainsi que l’intérêt de l’entreprise peut heurter de front la pratique religieuse.
Sur le caractère central de l’interdiction du travail le dimanche en droit français
C’est la loi du 13 juillet 1906 qui a instauré l’interdiction de travailler le dimanche. Cela ne signifie nullement qu’avant cette loi il n’existait pas de repos hebdomadaire. Cette loi a, comparé à ce qui existait avant, innové de façon radicale en définissant un jour de repos commun à l’ensemble des salariés. Ainsi, et je ne fais ici que reprendre les arguments qui ont été avancés à l’époque pour justifier l’adoption de ce texte, cette interdiction repose sur trois idées fortes :
- ce n’est pas l’employeur qui décide du jour de repos mais le législateur ; le salarié n’est plus, grâce à cela, à la merci des contraintes de production ; il bénéficie ainsi d’une sphère privée autonome distincte de sa sphère professionnelle ;
- en imposant un jour commun, les couples salariés peuvent se retrouver et réaliser pleinement leurs projets ;
- grâce à cela, l’idée avait été suggérée dès l’époque, les tâches ménagères de la gente féminine seraient atténuées.
Dès lors, l’interdiction du travail le dimanche est intimement liée au droit à la vie privée et il est dommage qu’au nom de la distinction entre travail salarié et non-salarié, la réglementation ne soit pas encore plus stricte que ce qu’elle est. On comprendra mieux pourquoi, dès son adoption, le patronat a voulu revenir sur cet acquis social. Comment, moi employeur, je ne décide pas du jour de repos de mon salarié ? Il peut m’opposer des droits alors que c’est moi qui le paye ?
Beaucoup d’employeurs n’arrivent malheureusement toujours pas à comprendre que la différence fondamentale entre l’homme et l’animal réside dans le point suivant : l’animal se repose quand il est fatigué ; l’homme dispose d’un droit au repos pour vaquer à des occupations personnelles, pour reprendre une expression utilisée par le législateur, sur lesquelles il n’a aucun compte à rendre à son employeur.
Là où le siècle actuel diffère dans sa critique de l’interdiction de travailler le dimanche, c’est qu’il invoque le relativisme culturel pour cautionner les revendications du patronat : puisque les individus ne sont pas tous unis par le même référent culturel, il n’est plus possible d’appliquer une règle unique. Toutes choses étant égales par ailleurs, c’est comme si on disait la chose suivante : puisque tout le monde ne conduit pas de la même façon, il ne sert à rien de disposer d’un code de la route unique.
Quant à l’argument selon lequel tout cela dépendrait de la volonté du salarié, on citera cette décision récente de la Cour d’appel de Versailles le 25 novembre 2008, statuant en référé « le simple fait que la salariée ait accepté par voie d’avenant signé par elle de travailler le dimanche ne permet nullement d’en déduire qu’elle ait été volontaire. [...] ; même à supposer que [la salariée] ait fait acte de candidature, elle se trouvait sous la dépendance économique de l’employeur ».;
Cette rhétorique, pour séduisante qu’elle soit, ne doit donc pas nous faire oublier que le repos le samedi est intimement lié à l’interdiction de travailler le dimanche.
Sur le travail le samedi
Il n’y a aucun droit à ne pas travailler le samedi en France. Au préalable, on rappellera que l’autorisation de travailler le dimanche ne donnera nullement le droit de ne pas travailler le samedi. En effet, le salarié est subordonné et il ne peut en aucun cas imposer ses choix à l’employeur.
Plus encore, la loi dispose en matière de repos qu’ « il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine » (art. L3132 du Code du travail). Si nombre d’entreprises sont fermées le samedi, ce n’est pas parce que la loi impose deux jours de repos hebdomadaires ; c’est seulement parce que tout salarié a droit à 11 heures de repos quotidien auxquelles s’ajoutent 24 heures hebdomadaire (art. L3131-3132-2 du Code du travail). Il est donc parfaitement licite pour un employeur de faire travailler ses salariés le samedi matin. Mais comme il ne peut pas les retenir plus que la matinée sans commettre une infraction, il préfère généralement fermer l’entreprise pour le week-end. Autrement dit, si le jour de repos hebdomadaire n’est plus le dimanche, il n’y a aucune raison à ce que l’entreprise ferme le samedi.
En matière de congés payés, le samedi n’est pas non plus un droit acquis : sont comptabilisés au titre des congés les jours ouvrables,- c’est-à-dire les jours où l’employeur peut ouvrir – et non les jours ouvrés, c’est-à-dire les jours où l’employeur ouvre vraiment son entreprise. Généralement, seuls sont comptabilisés les jours ouvrés, ce qui permet au salarié de disposer indirectement de jours supplémentaires. Mais, là encore, cette pratique ne se comprend que parce que la loi impose le jour de repos et ne le laisse pas à la libre appréciation de l’employeur.
Toute l’évolution contemporaine de la réglementation en droit du travail repose principalement sur une volonté de limiter le droit au repos et d’altérer le droit à la vie privée en dépit du fait que ce droit bénéficie d’une consécration internationale. Les personnes disposant d’un statut cadre seront les premières à souffrir des nouvelles dispositions en la matière. Pour ces personnes, la comptabilisation du temps de travail s’effectue généralement en jours et non en heures. Or, en vertu des nouvelles dispositions, elles vont pouvoir travailler 235 jours sur les 365 jours de l’année au lieu des 218 jours en cours actuellement. Quand on sait que les célèbres jours issus de la réduction du temps de travail qui viennent d’être ainsi supprimés étaient utilisés pour permettre au Juifs de s’arrêter de travailler pendant les fêtes religieuses, on comprendra aisément que le slogan qui a alimenté la dernière campagne présidentielle, « Travailler plus pour gagner plus » n’était vraiment pas un slogan Kacher.
merci pour la photo à Orly Ayhalom http://public.fotki.com/orlyyahalom/israel/